"Je suis tenté de croire qu'Hékate a jeté sur moi quelques bienveillant regard. La mort me comble, inlassable pourvoyeuse de mes plaisirs et s'ils sont souvent incomplets, c'est seulement le fait de ma propre débilité"
Le Nécrophile de Gabrielle Wittkop
Je suis tenté de croire qu'à l'intérieur de ma tête, une communauté s'est organisé, un phalanstère organique qui bouillonne jour et nuit, qui m'empêche d'être détendu, d'être abordable, de prétendre parfois à quelques fragilités.
Les nuits sans sommeil, je les collectionne comme les timbres et chaque nuitée, se creuse sous mes yeux des tombes poussiéreuses, appendices de mes sentiments et angoisses, je suis une anxieuse qui s'imagine à l'agonie lorsque ses paupières s'affaissent. Disparaissent les vivants, métamorphoser en oeuvres de Praxitèle, apparaissent les carnassiers et les mauvais rêves.
On me dit trop soucieuse de ce monde qui tourne dans le vide, l'empathie déprime les gens, ce qui me sied puisque les gens me déprime. On me dit étrange par mes choix, mes envies et désir, ce qui me sied puisque les gens sont ennuyeux. Tergiverser et polémiquer, ironiser et feinter, je m'étonne moi-même d'avoir survécu à un moment de mon existence où on s'échinait à me faire crever, où je désirais disparaître, indésirable et invisible. Mais l'on apprend bien vite à ne pas se plaindre de ses châtiments, car d'autres souffrances existent, la nôtre devient donc une piqûre de rappel qui boursoufle sous la peau et évide de tout, souffle la rage et commence les crises insondables.
On apprend à écouter les autres et à se taire, car bien vite l'on se rend compte que le monde autour de vous est prolixe en infortune, grave ou plus souvent insignifiante mais qu'il n'est pas prêt à être attentif aux vôtres. On finit par se taire et analyser les autres comme si ce fut naturel à chaque instant d'observer le monde dans un laboratoire et d'en connaître les tenants et aboutissants. Au final, de ne s'étonner plus que de la nature la plus abject de l'Homme qui rivalise d'horreur et chercher à s'en accommoder. C'est comme cela que l'on se perd et que la seule manière de s'en sortir est de s'éprendre du cynisme et de la solitude.
Je suis tenté de croire qu'à l'intérieur de moi s'est organisé une rébellion, un phalanstère aseptique qui pourrit jour et nuit, qui m'empêche de me plaire, d'être soulagé, de pouvoir éprouver parfois quelques émotions simples.
Illustration by Jonathan Raya ©