Paracelsia

† La Madone Anthracite †

Lundi 26 mars 2007 à 1:18

Et l'âne vit l'Ange de Nick Cave (1989)
Editions Le Serpents à Plumes en 1995 collection Motifs
7 Euros 47 - 468 pages
Avis: Epoustouflant, glauque, à tomber...


Résumé:
L'histoire se passe dans un village du Sud des Etats-Unis, dans les années 40-60.
Les habitants vivent complètement dans la religion, toute leur existence semble vouer aux Ukulites, une secte apocalyptique, archaïques et disjonctés. Le destin de la communauté bascule le jour où une pluie continue s'abat brusquement sur la contrée. Le déluge dure des années, condamnant les habitant et leur monde rongé par la consanguinité et les horreurs.

La communauté est alors persuadé qu'ils ont commis une faute, ils vont alors se trouver un bouc émissaire, une pauvre victime du nom d'Euchrid Euchrow, un jeune garçon vivant en marge de la secte. On va canaliser toute sa haine sur le petit garçon né d'une mère et d'un homme aliéné qui passe son temps à confectionner des pièges pour animaux, il souffre de multiples tares, il est notamment sourd et difforme. Euchrid perd aussi son frère jumeau, mort-né. Pour fuir tout cela, il s'invente un monde, le Royaume de Tête-de-Chien, d'où il observe la vie absurdes et dégénérer du village. Se prenant pour un intermédiaire entre Dieu et le règne humain, il entretient une relation ambiguë avec Beth, l'ange salvateur qui est porté aux nues par le Ukulites pour avoir, selon eux, fait cesser le déluge.


Lorsque je l'ai lut il y'a 8 ans, il est devenu mon livre de chevet et mon livre culte, c'est un monde de violence et de crise où un village complètement marginal vit dans la crainte de tout signe divin, tout en étant d'une cruauté et d'une infamie hallucinante. Ce roman m'avait même inspiré une nouvelle, je me suis prise à vouloir appelé mon premier enfant Euchrid. Complètement bouleversé par ce roman, j'en était d'autant plus fan de Nick Cave, ces chansons, ces écrits, ses talents multiples ont achevé de me rendre accros. Ce livre est peuplé de toutes les facettes immonde de l'Être Humain, de dévôts religieux sadiques, un monde insensé qui vous prends au trip, complètement fascinant, il n'y a pas de mot.

Extraits:
"Passant du plus profond abattement à la violence la plus haineuse, les frères cherchaient un soulagement à leur déconfiture en brutalisant leurs soeurs mornes et baveuses, qu'ils violaient sous la menace du fusil, provoquant des maternités à répétitions"

"Lentement, le monde étouffait dans des linceuls de peur et d'ombre noire, et quand je ne pus rien voir d'autre que l'obscurité poisseuse, j'entendis des pas de mauvais augure, lourds et irréguliers, traverser la véranda et s'arrêter devant la porte"

"La peau de ses bras était sans défaut, sauf aux endroits où elle s'enfonçait des aiguilles, pour que mollissent ses os cassants et que flottent ses membres, pour que son corps céleste balance d'avant en arrière, dans sa peau de soie frissonnante. Son fin vêtement se tendait de toute la vie alanguie qu'il renfermait"

"La fillette se retourna et s'en alla par les montagnes, l'évangéliste la suivant de près. Il furetait sous chaque arbuste, chaque pierre, à la recherche de pécheurs"

"Quand j'ouvris les yeux, la foule était autour de moi. Chaque personne était habillée d'une tunique, avait une couronne d'épines et cinq blessures. Trop de Christs et pas assez de croix, pensai-je, pris de panique. Ils me poussaient, tous se battaient pour une place sur la croix qui grinçait sous leur poids. Alors je me mis en colère. C'est ma croix, criai-je, et tout le monde s'enfuit"

"Beth leva les yeux. Elle vit Euchrid. Elle vit l'Ange, ciselé de marbre. Elle perçut l'écho inquiètant de leur attitude, de leur pose, de leur propos. Elle vit l'un ailé, aux os blancs et insufflé de grâce, et elle vit sa manifestation incarnée, misérable et couverte de boue. Et elle vit ses blessures, sa longue chevelure, ses pieds nus, sa poitrine palpitante"

Photos de Bettina Rheims ©

Mardi 25 avril 2006 à 14:18

Âmes Perdues de Poppy Z.Brite (1992)
Editions J'ai Lu en 1999
6 Euros - 380 pages
Avis: Séduisant, sombre, sanglant...

Pour ceux qui aiment les histoires de vampires ou les romans d'Anne Rice, voici le roman gothique (je dit bien gothique hein, pas goths) moderne voir plus que moderne, qui coupe avec le mythe du vampire romantique que Miss Rice a exploiter plus que de raison, ainsi le vampire retrouve son état premier, celui d'un être égoïste assoifées de sang, beau dans la démesure et par sa beauté surnaturelle, incroyablement sans pitié. Nothing a quinze ans et il se sent mal à l'aise, ce malaise n'est pas dû au fait qu'il soit un adolescent, mais parce qu'il ne supporte plus la vie bien rangé de ses parents adoptifs, il décide de s'enfuir pour trouver ses véritables origines, il part à la rencontre des Lost Souls, le groupe qui bouleverse son âme. Lorsqu'il est pris en stop par trois voyous nommés Zillah, Molochai et Twig, drogués et buveurs de sang, le jeune homme va s'apercevoir que, comme eux, il est un vampire…

Hum, pour être brève, c'est un roman qui m'a beaucoup émue, Anne Rice qui en fait des tonnes passe pour une écolière face aux vampires modernes de Poppy Z. Brite. Dans la violence et la haine, surgit un romantisme et un état de grâce qui vous fait fondre. Le personnage de Nothing est le plus marquant, il fait passer Lestat pour un petit foireu de vampire à jabot. Renversant les mythes enchantées du vampire romanesque, Brite nous plonge aussi dans l'ambiance de la musique New Wave qui fut à l'origine du mouvement gothique des années 80 (avant son renouveau d'aujourd'hui que j'appelerais plutôt assombrissement), hommage à Peter Murphy et The Cure, aux codes vestimentaires et bien d'autres, on aime à la folie suivre Zillah et sa bande ainsi que Ghost et son cher Steve.
A lire d'urgence ainsi que "Eros Vampire", "Contes de la fée Verte", "Sang d'encre" et surtout "Le corps Exquis".
Pour les mordus d'histoires sombres et vampiriques qui souhaiteraient arrêter de citer Rice et de s'en gaver, vous avez cette excellent site qu'est Oxymore, j'y ai acheté les deux volumes d'"Exhumer l'ombre" et "Enterrer L'ombre"... Fascinant!


Extraits:
"Jamais elle ne sut qu'il s'appelait Zillah, jamais elle ne sut comment elle se retrouva couchée tout contre lui dans l'arrière-salle du bar de Christian. Elle sut seulement que son visage était maculé de sang, que ses doigts et sa langue lui exploraient le corps comme jamais personne ne l'avait fait; elle crut être en lui quand il était en elle, son sperme avait un parfum d'autel; et elle s'endormit avec ses cheveux dans les yeux."

"Nothing s'allongea dans les ténèbres et but à même le goulot, les yeux fixés aux étoiles de son plafond. Au bout d'un temps, les constellations se mirent à ondoyer. Je dois foutre le camp d'ici, se dit-il juste avant l'aube, et des milliers de spectres d'enfants américains ayant vécu dans l'horreur de la complaisance, de la stagnation et du réconfort de la mort défilèrent lentement devant son visage, lui murmurant leur accord."


"Des larmes coulèrent sur le visage de Laine, lui mouillèrent les tempes. Nothing en connaissait le goût, légèrement salé, tout comme celui de sa salive. Mais il se surprit à se demander quel goût elles prendraient si on les mélangeait au sang de Laine. Il se vit en train de lécher les joues de Laine, couvertes d'un vernis de sang marbré de larmes de cristal."


"Ce sont vraiment des vampires, se dit-il. Tu es condamné à une vie de sang et de meurtre, tu t'es exclu du monde du jour. Et il se répondit à lui-même. Parfait. Pourvu que je ne sois plus jamais seul."


"Wallace n'avait pas vu le corps de sa fille depuis sa plus tendre enfance, une époque où elle n'était qu'une androgyne grassouillet avec deux boutons sur la poitrine et une mince fente entre les jambes. Mais aujourd'hui, ses seins étaient ronds et satinés, des seins de jeune fille, et Wallace se demanda quel effet ça ferait de les soupeser dans ses mains, quel goût auraient leurs mamelons en forme de fraise s'il les prenait dans sa bouche pour les sucer.

"Papa, je vais devenir vampire.""

"Elle vit une citrouille évidée luisant d'une lueur orange sur fond de nuit noire, tremblant comme si elle était portée par un spectre invisible. Son sourire explosa, et une immense rose entra en éclosion dans ses chairs, se fanant et pourissant en l'espace de quelques secondes. Elle vit une jeune fille aux yeux noirs à moitié dissimulés par un voile de cheveux; puis ces yeux s'exhorbitèrent, billes de blanc et d'argent, sa bouche s'ouvrit démesurément, et un filet de sang et de whisky coula sur son menton."


"Ghost se demanda si Nothing serait ici ce soir; tous les enfants lui ressemblaient. Leurs longs manteaux sombres et leurs blousons de cuir trop grands enveloppaient leurs os fragiles comme des voiles d'ombre. La plupart d'entre eux avaient l'air si petits, si frêles, prêts à éclater comme des bulles de savon si on les touchait. Mais on lisait dans leurs yeux cernés de noir une certaine dureté, une muraille de verre érigée pour dissimuler leur terrible vulnérabilité. Montre-moi ce que tu sais faire, disaient ces yeux. Fais-moi mal si c'est ce que tu veux. J'ai déjà tout vu, ou du moins je le pense, et quelle différence ça peut faire?"

Photos d'Eolo Perfido ©

Mardi 14 mars 2006 à 16:08



udjekewis avait neuf frères et ensemble, ils vainquirent l'ours géant. Aussi reçurent-ils en présent la ceinture sacrée qui contient de quoi vivre heureux sa vie durant. Le mérite de cet exploit, chacun le savait, revenait à Mudjekewis, le plus jeune des 10 garçons, et ce fut à lui qu'échut le pouvoir de gouverner les vents d'Ouest. On l'appela dès lors Kabeyun, père des airs, et il entreprit de distribuer une part de sa puissance à chacun de ses fils. A Wabun, il donna l'Est; à Shawondasee, le Sud, et à Kabiboonoka, le Nord. Seul Manabozho n'eut rien de cet héritage, car sa naissance avait été illégitime. C'est pourquoi, plus tard, blessé par cette injustice, il partit en guerre contre son père jusqu'à ce que celui-ci, accédant sa requête, consente à lui céder une part de la souverraineté de Kabiboonoka, en lui abandonnant le privilège de règner sur les vents du Nord-Ouest. Shawondasee, maître du Sud, révéla très jeune son indolence. C'était, bien avant l'âge, un vieillard poussif peu enclin à voyager, les yeux mi-clos toujours fixés droit devant lui. Souvent il soupirait lorsque venait l'automne, dispensant généreusement cet air doux qui gagne alors tout le Nord du pays.
ais un jour, il aperçut au loin, courant gracieusement à travers les plaines du Nord, une jeune fille aux cheveux d'or. Elle était très belle et il en tomba aussitôt amoureux. Ses boucles surtout, blondes comme le blé mûr, avaient conquis son coeur. Cependant sa paresse naturelle l'emporta sur sa passion et, à l'aube du matin, il la surprit envelopée d'une nuée blanche comme neige. Il en conçut aussitôt une vive jalousie, persuadé que son frère Kabiboonoka s'était mis en tête de la lui ravir en lui offrant l'une de ses écharpes immaculées dont les vents du Nord ont coutume de se parer aux approches de l'hiver.
our briser le sortilège de son rival, Shawondasee, haletant, souffla comme il put et, le ciel fut envahi de fils d'argent. Mais lorsque ceux-ci se dissipèrent, la belle avait disparu et, avec elle les mille graines finement ailées qui couronnent les fleurs du pissenlit de la prairie! Il est un âge pour tout, dit le sage, et Shawondasee avait eu le tort de se croire assez jeune pour être aimé de la fille aux cheveux d'or. En la poursuivant de ses soupirs alanguis, il n'avait fait que précipiter sa fuite. Depuis, croyant chaque automne revoir l'objet de sa flamme courir dans les prés comme au premier jour, le vieillard continue de haleter doucement au souvenir d'un bonheur inaccessible, gratifiant les terres du Nord, à la veille de l'hiver, de cette saison à nulle part pareille et que les hommes blancs appellent l'été indien.

Illustration de
Howard David Johnson  ©

Mardi 28 février 2006 à 23:26



Une femme-korrigan se trouvait sur le point de donner le jour à un enfant. Elle envoya chercher une vieille sage-femme de sa connaissance à la ville voisine.

Après la naissance de l'enfant, et lorsque la sage-femme l'eut emmailloté à la manière ordinaire et se fut assise au coin du foyer pour le chauffer, la mère lui dit, aussitôt qu'elle put recouvrer la parole :
- "Cherchez là, ma commère, au coin de l'armoire, et vous y trouvez une pierre ronde. Frottez-en les yeux de mon enfant."
- "Qu'est ce que cela signifie? se demanda la sage femme. Cette pierre aurait-elle donc quelque propriété merveilleuse?" Et pour s'en assurer, après avoir appliqué la pierre sur les yeux de l'enfant, elle s'en frotta l'œil droit.

La pierre donnait la faculté aux personnes dont elle avait touché les yeux de voir les korrigans lorsqu'ils étaient invisibles. A quelque temps de là, la sage femme se rendit à une grande foire qui se tenait dans un bourg voisin. Elle fut bien surprise, lorsqu'elle arriva, d'apercevoir sa commère, la femme-korrigan, qui furetait dans les boutiques les plus richement garnies, et qui prenait, parmi les marchandises, celles qui lui plaisaient le plus, sans que les marchands parussent en être surpris.

Le soir, s'en retournant chez elle, la sage-femme rencontra en chemin la femme-korrigan, qui portait un lourd panier rempli d'étoffes de la plus grande richesse.
- "Ah! Commère!, lui dit-elle en l'abordant. Vous avez fait aujourd'hui une rude brèche aux étalages et aux boutiques d'étoffes, et pourtant, elles ne vous ont pas coûté bien cher!"
- "Oh, oh! lui répondit la femme-korrigan. Vous m'avez vue les payer, et de quel œil me voyez-vous maintenant?"
- "De l'œil droit", lui dit la sage-femme. C'était celui qui avait été en contact avec la pierre mystérieuse.

Aussitôt la femme-korrigan enfonça un de ses doigts dans l'œil que la malheureuse commère venait de lui désigner, l'arracha de son orbite et lui dit avec un ricanement digne du diable :
- "Vous ne me verrez plus à présent!" Et désormais, la sage-femme fut borgne et ne vit plus jamais les korrigans lorsque ceux-ci étaient invisibles.

Illustration de Anna Ignatieva ©

Mercredi 8 février 2006 à 16:19



Un homme riche avait une femme qui tomba malade, et quand celle-ci sentit sa fin prochaine, elle appela à son chevet son unique fille et lui dit:
- Chère enfant, reste bonne et pieuse, et le bon Dieu t'aidera toujours, et moi, du haut du ciel, je te regarderai et te protégerai.
Puis elle ferma les yeux et rnourut. La fillette se rendit chaque jour sur la tombe de sa mère, pleura et resta bonne et pieuse. L'hiver venu, la neige recouvrit la tombe d'un tapis blanc. Mais au printemps, quand le soleil l'eut fait fondre, l'homme prit une autre femme.
La femme avait amené avec elle ses deux filles qui étaient jolies et blanches de visage, mais laides et noires de coeur. Alors de bien mauvais jours commencèrent pour la pauvre belle-fille.
- Faut-il que cette petite oie reste avec nous dans la salle? dirent-elles. Qui veut manger du pain, doit le gagner. Allez ouste, souillon!
Elles lui enlevèrent ses beaux habits, la vêtirent d'un vieux tablier gris et lui donnèrent des sabots de bois. "Voyez un peu la fière princesse, comme elle est accoutrée!", s'écrièrent-elles en riant et elles la conduisirent à la cuisine. Alors il lui fallut faire du matin au soir de durs travaux, se lever bien avant le jour, porter de l'eau, allumer le feu, faire la cuisine et la lessive. En outre, les deux soeurs lui faisaient toutes les misères imaginables, se moquaient d'elle, lui renversaient les pois et les lentilles dans la cendre, de sorte qu'elle devait recommencer à les trier. Le soir, lorsqu'elle était épuisée de travail, elle ne se couchait pas dans un lit, mais devait s'étendre près du foyer dans les cendres. Et parce que cela lui donnait toujours un air poussiéreux et sale, elles l'appelèrent "Cendrillon".
Il arriva que le père voulut un jour se rendre à la foire; il demanda à ses deux belles-filles ce qu'il devait leur rapporter.
- De beaux habits, dit l'une.
- Des perles et des pierres précieuses, dit la seconde.
- Et toi, Cendrillon, demanda-t-il. Que veux-tu?
- Père, le premier rameau qui heurtera votre chapeau sur le chemin du retour, cueillez-le pour moi.
Il acheta donc de beaux habits, des perles et des pierres précieuses pour les deux soeurs, et, sur le chemin du retour, en traversant à cheval un vert bosquet, une branche de noisetier l'effleura et fit tomber son chapeau. Alors il cueillit le rameau et l'emporta. Arrivé à la maison, il donna à ses belles-filles ce qu'elles avaient souhaité et à Cendrillon le rameau de noisetier. Cendrillon le remercia, s'en alla sur la tombe de sa mère et y planta le rameau, en pleurant si fort que les larmes tombèrent dessus et l'arrosèrent. Il grandit cependant et devint un bel arbre. Cendrillon allait trois fois par jour pleurer et prier sous ses branches, et chaque fois un petit oiseau blanc venait se poser sur l'arbre. Quand elle exprimait un souhait, le petit oiseau lui lançait à terre ce quelle avait souhaité.
Or il arriva que le roi donna une fête qui devait durer trois jours et à laquelle furent invitées toutes les jolies filles du pays, afin que son fils pût se choisir une fiancée. Quand elles apprirent qu'elles allaient aussi y assister, les deux soeurs furent toutes contentes; elles appelèrent Cendrillon et lui dirent
- Peigne nos cheveux, brosse nos souliers et ajuste les boucles, nous allons au château du roi pour la noce.
Cendrillon obéit, mais en pleurant, car elle aurait bien voulu les accompagner, et elle pria sa belle-mère de bien vouloir le lui permettre.
- Toi, Cendrillon, dit-elle. Mais tu es pleine de poussière et de crasse, et tu veux aller à la noce? Tu n'as ni habits, ni souliers, et tu veux aller danser?
Mais comme Cendrillon ne cessait de la supplier, elle finit par lui dire:
- J'ai renversé un plat de lentilles dans les cendres; si dans deux heures tu les as de nouveau triées, tu pourras venir avec nous.
La jeune fille alla au jardin par la porte de derrière et appela : "Petits pigeons dociles, petites tourterelles et vous tous les petits oiseaux du ciel, venez m'aider à trier les graines, les bonnes dans le petit pot, les mauvaises dans votre jabot."

Alors deux pigeons blancs entrèrent par la fenêtre de la cuisine, puis les tourterelles, et enfin, par nuées, tous les petits oiseaux du ciel vinrent en voletant se poser autour des cendres. Et baissant leurs petites têtes, tous les pigeons commencèrent à picorer: pic, pic, pic, pic, et les autres s'y mirent aussi: pic, pic, pic, pic, et ils amassèrent toutes les bonnes graines dans le plat. Au bout d'une heure à peine, ils avaient déjà terminé et s'envolèrent tous de nouveau. Alors la jeune fille, toute joyeuse à l'idée qu'elle aurait maintenant la permission d'aller à la noce avec les autres, porta le plat à sa marâtre. Mais celle-ci lui dit:
- Non, Cendrillon, tu n'as pas d'habits et tu ne sais pas danser : on ne ferait que rire de toi.
Comme Cendrillon se mettait à pleurer, elle lui dit:
- Si tu peux, en une heure de temps, me trier des cendres deux grands plats de lentilles, tu nous accompagneras. Car elle se disait qu'au grand jamais elle n'y parviendrait.
Quand elle eut jeté le contenu des deux plats de lentilles dans la cendre, la jeune fille alla dans le jardin par la porte de derrière et appela:
"Petits pigeons dociles, petites tourterelles et vous tous les petits oiseaux du ciel, venez m'aider à trier les graines, les bonnes dans le petit pot, les mauvaises dans votre jabot."
Alors deux pigeons blancs entrèrent par la fenêtre de la cuisine, puis les tourterelles, et enfin, par nuées, tous les petits oiseaux du ciel vinrent en voletant se poser autour des cendres. Et baissant leurs petites têtes, tous les pigeons commencèrent à picorer: pic, pic, pic, pic, et les autres s'y mirent aussi: pic, pic, pic, pic, et ils ramassèrent toutes les bonnes graines dans les plats. Et en moins d'une demi-heure, ils avaient déjà terminé, et s'envolèrent tous à nouveau. Alors la jeune fille, toute joyeuse à l'idée que maintenant elle aurait la permission d'aller à la noce avec les autres, porta les deux plats à sa marâtre. Mais celle-ci lui dit:
- C'est peine perdue, tu ne viendras pas avec nous, car tu n'as pas d'habits et tu ne sais pas danser; nous aurions honte de toi.
Là-dessus, elle lui tourna le dos et partit à la hâte avec ses deux filles superbement parées.
Lorsqu'il n'y eut plus personne à la maison, Cendrillon alla sous le noisetier planté sur la tombe de sa mère et cria: "Petit arbre, ébranle toi, agite-toi, jette de l'or et de l'argent sur moi."
Alors l'oiseau lui lança une robe d'or et d'argent, ainsi que des pantoufles brodées de soie et d'argent. Elle mit la robe en toute hâte et partit à la fête. Ni ses soeurs, ni sa marâtre ne la reconnurent, et pensèrent que ce devait être la fille d'un roi étranger, tant elle était belle dans cette robe d'or. Elles ne songeaient pas le moins du monde à Cendrillon et la croyaient au logis, assise dans la saleté, a retirer les lentilles de la cendre. Le fils du roi vint à sa rencontre, a prit par la main et dansa avec elle. Il ne voulut même danser avec nulle autre, si bien qu'il ne lui lâcha plus la main et lorsqu'un autre danseur venait l'inviter, il lui disait : "C'est ma cavalière."
Elle dansa jusqu'au soir, et voulut alors rentrer. Le fils du roi lui dit : "Je m'en vais avec toi et t'accompagne", car il voulait voir à quelle famille appartenait cette belle jeune fille. Mais elle lui échappa et sauta dans le pigeonnier. Alors le prince attendit l'arrivée du père et lui dit que la jeune inconnue avait sauté dans le pigeonnier. "Serait-ce Cendrillon?" se demanda le vieillard et il fallut lui apporter une hache et une pioche pour qu'il pût démolir le pigeonnier. Mais il n'y avait personne dedans. Et lorsqu'ils entrèrent dans la maison, Cendrillon était couchée dans la cendre avec ses vêtements sales, et une petite lampe à huile brûlait faiblement dans la cheminée; car Cendrillon avait prestement sauté du pigeonnier par-derrière et couru jusqu'au noisetier, là, elle avait retiré ses beaux habits, les avait posés sur la tombe, et l'oiseau les avait remportés; puis elle était allée avec son vilain tablier gris se mettre dans les cendres de la cuisine.
Le jour suivant, comme la fête recommençait et que ses parents et ses soeurs étaient de nouveau partis, Cendrillon alla sous le noisetier et dit:
"Petit arbre, ébranle toi, agite-toi, jette de l'or et de l'argent sur moi."
Alors l'oiseau lui lança une robe encore plus splendide que celle de la veille. Et quand elle parut à la fête dans cette toilette, tous furent frappés de sa beauté. Le fils du toi, qui avait attendu sa venue, la prit aussitôt par la main et ne dansa qu'avec elle. Quand d'autres venaient l'inviter, il leur disait: "C'est ma cavalière." Le soir venu, elle voulut partir, et le fils du roi la suivit, pour voir dans quelle maison elle entrait, mais elle lui échappa et sauta dans le jardin derrière sa maison. Il y avait là un grand et bel arbre qui portait les poires les plus exquises, elle grirnpa entre ses branches aussi agilement qu'un écureuil, et le prince ne sut pas où elle était passée. Cependant il attendit l'arrivée du père et lui dit:
- La jeune fille inconnue m'a échappé, et je crois qu'elle a sauté sur le poirier.
"Serait-ce Cendrillon?" pensa le père qui envoya chercher la hache et abattit l'arbre, mais il n'y avait personne dessus. Et quand ils entrèrent dans la cuisine, Cendrillon était couchée dans la cendre, tout comme d'habitude, car elle avait sauté en bas de l'arbre par l'autre côté, rapporté les beaux habits à l'oiseau du noisetier et revêtu son vilain tablier gris. Le troisième jour, quand ses parents et ses soeurs furent partis, Cendrillon retourna sur la tombe de sa mère et dit au noisetier:
"Petit arbre, ébranle toi, agite-toi, jette de l'or et de l'argent sur moi."
Alors l'oiseau lui lança une robe qui était si somptueuse et si éclatante qu'elle n'en avait encore jamais vue de pareille, et les pantoufles étaient tout en or. Quand elle arriva à la noce dans cette parure, tout le monde fut interdit d'admiration. Seul le fils du roi dansa avec elle, et si quelqu'un l'invitait, il disait: "C'est ma cavalière."
Quand ce fut le soir, Cendrillon voulut partir, et le prince voulut l'accompagner, mais elle lui échappa si vite qu'il ne put la suivre. Or le fils du roi avait eu recours à une ruse, il avait fait enduire de poix tout l'escalier, de sorte qu'en sautant pour descendre, la jeune fille y avait laissé sa pantoufle gauche engluée. Le prince la ramassa, elle était petite et mignonne et tout en or.
Le lendemain matin, il vint trouver le vieil homme avec la pantoufle et lui dit:
- Nulle ne sera mon épouse que celle dont le pied chaussera ce soulier d'or.
Alors les deux soeurs se réjouirent, car elles avaient le pied joli.
L'aînée alla dans sa chambre pour essayer le soulier en compagnie de sa mère. Mais elle ne put y faire entrer le gros orteil, car la chaussure tait trop petite pour elle; alors sa mère lui tendit un couteau en lui disant:
- Coupe-toi ce doigt, quand tu seras reine, tu n'auras plus besoin d'aller à pied.
Alors la jeune fille se coupa l'orteil, fit entrer de force son pied dans le soulier et, contenant sa douleur, s'en alla trouver le fils du roi. Il la prit pour fiancée, la mit sur son cheval et partit avec elle. Mais il leur fallut passer devant la tombe. Les deux petits pigeons s'y trouvaient, perchés sur le noisetier, et ils crièrent:

"Ro cou-cou, roucou-cou et voyez là,
Dans la pantoufle, du sang il y a:
Bien trop petit était le soulier;
Encore au logis la vraie fiancée."
Alors il regarda le pied et vit que le sang en coulait. Il fit faire demi-tour à son cheval, ramena la fausse fiancée chez elle, dit que ce n'était pas la véritable jeune fille et que l'autre soeur devait essayer le soulier. Celle-ci alla dans sa chambre, fit entrer l'orteil, mais son talon était trop grand. Alors sa mère lui tendit un couteau en disant:
- Coupe-toi un bout de talon, quand tu seras reine, tu n'auras plus besoin d'aller à pied.
La jeune fille se coupa un bout de talon, fit entrer de force son pied dans le soulier et, contenant sa douleur, s'en alla trouve le fils du roi. Il la prit alors pour fiancée, la mit sur son cheval et partit avec elle. Quand ils passèrent devant le noisetier, les deux petits pigeons s'y trouvaient perchés et crièrent:
"Ro cou-cou, roucou-cou et voyez là,
Dans la pantoufle, du sang il y a:
Bien trop petit était le soulier;
Encore au logis la vraie fiancée."
Le prince regarda le pied et vit que le sang coulait de la chaussure et teintait tout de rouge les bas blancs. Alors il fit faire demi-tour à son cheval, et ramena la fausse fiancée chez elle.
- Ce n'est toujours pas la bonne, dit-il. N'avez-vous point d'autre fille?
- Non, dit le père. Il n'y a plus que la fille de ma défunte femme, une misérable Cendrillon malpropre, c'est impossible qu'elle soit la fiancée que vous cherchez.
Le fils du roi dit qu'il fallait la faire venir, mais la mère répondit:
- Oh non! La pauvre est bien trop sale pour se montrer.
Mais il y tenait absolument et on dut appeler Cendrillon. Alors elle se lava d'abord les mains et le visage, puis elle vint s'incliner devant le fils du roi, qui lui tendit le soulier d'or. Elle s'assit sur un escabeau, retira son pied du lourd sabot de bois et le mit dans la pantoufle qui lui allait comme un gant. Et quand elle se redressa et que le fils du roi vit sa figure, il reconnut la belle jeune fille avec laquelle il avait dansé et s'écria:
- Voilà la vraie fiancée!
La belle-mère et les deux soeurs furent prises de peur et devinrent blêmes de rage. Quant au prince, il prit Cendrillon sur son cheval et partit avec elle. Lorsqu'ils passèrent devant le noisetier, les deux petits pigeons blancs crièrent:
"Ro cou-cou, roucou-cou et voyez là,
Dans la pantoufle, du sang plus ne verra
Point trop petit était le soulier;
Chez lui, il mène la vraie fiancée."
Et après ce roucoulement, ils s'envolèrent tous deux et descendirent se poser sur les épaules de Cendrillon, l'un à droite, l'autre à gauche et y restèrent perchés.
Le jour où l'on devait célébrer son mariage avec le fils du roi, ses deux perfides soeurs s'y rendirent avec l'intention de s'insinuer dans ses bonnes grâces et d'avoir part à son bonheur. Tandis que les fiancés se rendaient à l'église, l'aînée marchait à leur droite et la cadette à leur gauche, alors les pigeons crevèrent un oeil à chacune celles. Puis, quand ils s'en revinrent de l'église, l'aînée marchait à leur gauche et la cadette à leur droite, alors les pigeons crevèrent l'autre oeil à chacune d'elles. Et c'est ainsi qu'en punition de leur méchanceté et de leur perfidie, elles furent aveugles pour le restant de leurs jours.

Illustration de Linda Ravenscroft ©

Chez la Fée Clochette

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