La première fois que je l'ai vu, j'ai adoré cet Être fragile, silencieux et plein de poésie, c'est comme cela que se définit la belle. Depuis je la nomme My Sweet Prince parce que c'est une Fée, mon amie, un beau garçon sans armure, un amoureux écorché, une princesse déchue, une petite fille qui refuse de grandir et qui se blesse constamment aux émotions des autres et aux siennes. Fée Brile est surtout un personnage qui existe, qui ne s'invente pas, ne se raconte pas et ne s'ignore pas. C'est un artiste qui peut elle-même se définir et le fait dans un langage proche du surréalisme, pleins de mutismes et de rêves brisés. Je vois à travers son monde un orphisme constant et agréable qui confine parfois à la folie. J'amoureuse son univers, ses pupilles dilatés qui aiment la mélancolie et sa douceur, son étrangetée sublime, sa magie. Derrière les photos ainsi que les apparences, bat un coeur qui s'égratigne puis saigne et nous l'offre sur un plateau numérique.
"C’est un bout de ficelle mou et gluant qu’il sert au creux de la paume de sa main, en tirant tout doucement sur l’amour qu’elle lui porte. Isabelle est posée dans un coin de la pièce, la poitrine arrachée qui lui imprime comme un gros trou violacé sur le buste. Tout au fond, se trouve le coeur que l’homme convoite, ses larmes qui se dévoilent. Elle n’essaie pas de le retenir lorsqu’il lui prélève une partie et l’emporte.
Isabelle se redresse après le chaos de sa rupture insensée Elle cherche des yeux le reste de sa peau qui traîne sur le carrelage froid. Le soir, elle recoud sa tristesse aux lueurs d’une bougie parfumée, et s’ignore souffrante alors que l’aiguille s’enfonce profondément dans sa chair ; la douleur physique n’est pas le plus important.
Le jour, elle descend, du haut de ses talons piqués, balancer son corps frêle sur le bitume chaud. Elle cligne des yeux comme une automate, déambule près des autres poupées sans amour sur le boulevard désenchanté. Là, elles attendent toutes le prince charmant avec des yeux ronds d’espoir et leurs bouches brillantes de baume sucré. Une grande blonde guindée lui montre le trou que son imposteur lui a fait à la cuisse.
_ « Il disait qu’il aimait la texture de mes jambes. Il les a emportées sans moi. »
La blonde fait mine de pleurer, mais son fard craque et s’éparpille sur le sol. Elle s’alarme et sort son poudrier pour recoller un teint fané embarqué par un autre goujat.
« Il disait qu’il aimait mon teint de porcelaine », avait-elle soupiré.
Chez Isabelle, s’était son coeur qu’ils aimaient garder près d’eux, un morceau de son amour. Lorsqu’elle était arrivée ici, elle rayonnait tellement que les autres en restaient cois de jalousie. Son trop grand espoir faisait des envieux chez les tableaux ternes et saturés de belles promesses. Pourtant, elles revenaient toujours parées de leurs plus beaux bijoux, portant leurs plus beaux atours, imbibées de leur meilleur parfum, maquillées comme des perles. Elles hantaient les rues aux dalles roses, vendant leur drame contre un peu de magie. Et les hommes venaient pleins de douceurs, de bonbons acidulés, de mots envoûtants qu’elles aimaient boire, avant qu’ils ne se lassent de l’unité et ôtent ce souvenir d’elles qu’ils ne pouvaient plus oublier.
Au début, Isabelle avait rencontré son homme sans visage qui lui parlait du paradis à deux. Il lui créait des couleurs et des balançoires ornées de fleurs pour qu’elle puisse rire et se basculer. Elle avait pleuré quand il l’avait giflé afin de lui ouvrir la poitrine et couper un éclat, pour l’entraîner loin d’elle avec lui. À chaque prince corrompu, son coeur rétrécissait, ses yeux devenaient secs et elle avait apprit à recoudre son corps meurtri sans trop faire d’histoires.
Sa tristesse avait rendue les autres filles compatissantes et protectrices. Isabelle s’était mise à faire comme les autres : venir chercher un homme honnête. Aussi, son silence la rendait énigmatique et attirait d’étranges ombres amoureuses qui finissaient pourtant par la dépecer. Dès lors, Isabelle avait toujours le droit à sa place près de la fontaine de pétales, où l'on venait la cueillir sans trop y croire en vue de voler ses rêves à nouveau.
Jules, quant à lui, se cachait parfois au bout de la ruelle pour espionner les âmes sans vies de ces jeunes filles amoureuses d’un prince imaginaire. Elles aguichaient les hommes avec leurs souhaits, mais lui, il aimait observer Isabelle, assise sur les rebords de la fontaine, montrant sa cicatrice aux passants, sans expression, les yeux fixés au ciel. Elle semblait morte, résignée. Jules avait envie de l'aimer, de toucher son âme sans rien lui enlever. Et c’est ainsi qu’il se présente à elle :
_ « Laisse-moi entrer à l’intérieur. »
Isabelle avait baissé les yeux sur ce drôle d’oiseau vêtu de marbre, agenouillé à ses pieds, un chocolat blanc au creux de la main. Elle adorait les sucreries et ses joues ternies se coloraient en rouge sous le fondant de la crème vanille. Les autres filles s’étaient arrêtées, la bave au coin de la bouche et des yeux pour voir Jules transporter sa princesse sur son dos.
Tout d’abord heureuse, Isabelle a envie de mourir lorsqu’il lui ouvre la poitrine. Seulement, Jules était un véritable seigneur. Il découpe aussi son buste sous l’œil médusé de la jeune fille, puis il en extrait une pointe de ficelle pour le mettre dans son vide à elle. Isabelle rayonne d’un coup : elle a l’impression de redevenir belle et entière. La jeune fille absorbe alors son prince, et toute la nuit, la bouche collée contre la sienne, leurs coeurs battent à l’unisson."
Text by Paracelsia
For My Sweet Prince ♥
Photos by Fée Brile ©