Paracelsia

† La Madone Anthracite †

Lundi 23 décembre 2019 à 20:00

http://paracelsia.cowblog.fr/images/LeslieAnnODell3.jpg"Le ciel est extrêmement silencieux aujourd'hui, à travers la baie vitrée aucun nuage ne me distrait. Je me sens comme ces choses creuses qui se doivent de figurer sur un portrait solennel. Je m'ennuie tellement que j'ai envie de retourner me coucher. Ce matin, je l'ai regardé déserter notre lit comme si j'étais de l'autre côté d'un écran de cinéma. J'étais spectatrice chaque jour de ce départ qui ne me touche plus. Le film de ma vie devrait être réalisé par John Cassavetes, j'exigerais la place de Gena Rowland sous influence et je perdrais la raison encore et encore. Je suis saturé de vivre comme un objet posé là dans cet immense appartement et de ne plus me reconnaître. Je l'espère sans l'attendre, je ne sais plus où aller sans lui. Ceci est mon interprétation éternelle ; je suis son animal domestique. Je me figurais que nous serions un couple au-dessus des autres, heureux de se chercher à chaque instant, dévoré encore de plaisirs et toujours passionnant. Dorénavant je ne sais plus trop ce que cela signifie, pourtant ça me ronge tellement de ne plus rien sentir, je me suis faite avoir. 

C'est lorsque je reste seule dans ces pièces silencieuses et bleutées que je découvre que je ne possède quasiment plus rien. La peinture sur les murs, les plantes, les meubles tout est agencé et décidé par lui. Je fouille régulièrement dans sa boîte à vinyle, car il ne tolérait aucun autre support et je n'y trouve que de lourdeurs et de gravité. Il appréciait les choses que presque tous trouvaient assommant, mais tant que Brahms le faisait bander pour moi cela me convenait. À présent, il se pose dans son fauteuil favori comme un vieillard sclérosé puis écoute les yeux fermés la voix de Montserrat Caballé. Certainement, que le doigt qu'il maintient suspendu dans l'air est le même qu'il voudrait s'enfoncer profond à chaque pianissimo. Lorsque fiévreuse, je me colle à lui et qu'il me repousse sagement, je constate toute l'arrogance d'un personnage qu'il a été de tout temps. Mon mari a apparemment sans cesse généré la frustration, je n'ai été qu'une distraction divertissante avant qu'il ne me façonne à sa convenance.

Ainsi, il me pétrifie dans sa maison de poupée et je suis punie d'être devenue respectable. Dans ses moments où cet homme s'efforce de m'ignorer comme l'accessoire que je me dois d'être, je me fige. Je traverse du bout des doigts la constellation des veines de mon poignet et mime la coupure.

Ce matin, Monsieur mari a coulé ou mimer un regard attendri à sa femme poupée qui lui a chier son café, puis il est parti travailler après un baiser inexistant. Poupée a donc comater devant Netflix face à certaines séries aberrantes où d'autres poupées s'étiolaient aussi de ne plus être désirés. Alors elles avaient le ventre rond puis souffraient de baby-blues, puisque mari devenait encore plus arrogant que ce putain de karma. Poupée finissait par pleurer et allait se coucher dans sa chambre turquoise qui lui donnait des envies meurtrières. Mari rentrait généralement pour manger, il appréciait la viande saignante et elle lui donnait bleue pour qu'il s'étouffe. Malheureusement, il aimait ça aussi. Il repartait une heure après. Pas d'étreintes brûlantes, juste un baiser moisit sur cette putain de bouche qui avait faim de chaos. Et jusqu'à la nausée, ce scénario se répétait tous les jours.

À la fin de ces journées interminables, l'enfer de mon désarroi se manifeste lorsque je me gratte. Chaque centimètre de peau était furieusement attaqué, comme si des milliers d'insectes pénétraient les limbes de mon corps anesthésié. Mes doigts arrachent les vieilles croûtes. Il fallait que je sorte, j'avais besoin de ne plus me trouver là, il me fallait de la vie, je n'en pouvais plus de cette tranquillité.

_ Putain ! Je ne suis pas morte. Je ne suis pas dans un putain de feuilleton, j'ai hurlé de toutes mes forces.

Poupée s'est jeté dehors pour sa survie. J'ai écumé les rues sans savoir où atterrir, juste pour le plaisir de déambuler et voir le ciel se ternir. Le vent a soudain planté ses épines dans ma chair ravivée. Mon cœur est est en fusion et je ne peux joindre personne, Monsieur mari pour mon bien à éloigner mon passé. Je reste immobile dans des coins de rues que je ne reconnais plus, je dors depuis si longtemps ? Tout d'un coup, j'ai la tête qui tourne et cette impression de devoir exploser ; _ Voyons Poupée ! Tu ne peux plus appartenir aux autres, ni à toi d'ailleurs. Je vais devenir ton univers, ai je éructé dans une impasse vide.

_ Intéressant ! Tu cites une pièce ?

Je me croyais seule, mais voilà qu'un homme accolé à un lampadaire avait surgit de nulle part. Une espèce de grand épouvantail affublé d'un long manteau noir et d'un masque effrayant qui lui couvrait uniquement la bouche. J'ai dû lui paraître très effrayé car il l'enleva.

_ Ca va mieux ? L'homme s'avance vers moi plein d'assurance et me fait la bise.

_ Morgan et toi ?

Mais bordel dans quel monde, on se permet d'aborder un inconnu avec tant d'assurance et de sans-gêne ? Pourtant, loin de m'affoler, je suis resté étonnement calme. Je suis entièrement absorbé par ce regard lumineux, deux lapis-lazuli me transperçait là au milieu d'un quartier qui m'était étranger. Sans doute que j'avais trop bu, qu'un tel regard ne pouvait être qu'un jeu de lumière entre l'ombre et l'éclairage du poteau. Morgan avait de très longs cheveux cuivrées et un sourire stupide qui le rend tout de suite sympathique. Il sautillait d'un pied à l'autre en fredonnant quelque chose que je ne reconnais pas.

_ Je m'appelle Marylène... On peut aller chez toi ?"

Illustration par
Leslie Ann O'Dell ©

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