France | 1998 | Un film de Gaspard Noé | Avec Philippe Nahon (le boucher), Blandine Lenoir (la fille), Frankye Pain (sa femme), Martine Audrain (sa belle-mère), Jean-Francois Rauger (l'agent immobilier), Guillaume Nicloux (le directeur de supermarché), Olivier Doran (la voix du présentateur), Aïssa Djabri (le docteur Choukroun)
Noé savait choquer bien avant "Irréversible", et même beaucoup mieux. Sur fond de l'histoire d'un pauvre type ordinaire, un beauf' complètement schizo qui a la haine, qui méprise le monde entier excepté sa fille. Le viol est toujours présent comme dans tous ses travaux, y compris ses courts et moyens métrages. Cette fixation pour l'inceste ou l'horreur de l'innocence amputée, on la retrouvera dans le moyen métrage de sa compagne Lucile Hadzihalilovic "La bouche de Jean Pierre", où une petite fille malchanceuse rencontre l'amant de sa tante, le soir alors qu'elle dort près de la porte de la chambre de cette dernière.
Le boucher dans "Seul contre tous" est odieux, raciste et s'emporte tellement dans ses pensées qu'on lui prédit un ulcère immédiat. Le seul moment où il devient calme et presque censé, c'est lorsqu'il rend visite à sa fille dans un hôpital il me semble. Pour bien situer l'histoire il faut avoir vu "Carne" (même si les deux histoires peuvent être indépendantes), un moyen métrage de Noé, où l'on voit le boucher qui élève seul sa fille (elle ressemble à un légume limite), il la lave, la nourrit et l'habille... Même lorsqu'elle devient une femme, et là le malaise s'installe, puisque le boucher va avoir de mauvaises pensées en voyant les formes de sa fille, qui, entre ses mains, ressemble à un jouet.
Le boucher ira en prison, pour avoir tué sauvagement un type qu'il croyait coupable du dépucelage de sa fille, alors que celle-ci avait juste, pour la première fois, ses règles.
"Seul contre tous" contient un concentré des travers de cette société, et le boucher ressemble à ces gens extrémistes, nostalgiques d'un temps, ces gens qui sont à bout, il ira vers la fin jusqu'à se recréer un monde avec la seule femme qu'il n'a jamais aimée, c'est-à-dire sa fille... A qui il décide de faire l'amour pour lui apprendre la vie. La fin est un affrontement avec cette enfant qu'il chérit, il se demande s'il doit la tuer pour lui épargner la misère et la crasse de cette vie là, vivre c'est être égoïste.
Ce qu'il y a de plus drôle dans ce film, c'est l'avertissement du début du film "Vous avez 30 secondes pour abandonner l'idée de voir ce film" qui annonce déjà la couleur, nous prévient que ce que l'on va voir n'est pas commun et peut s'avéré dangereux pour le public. Effectivement, voir l'errance de cet homme antipathique, le vieux beauf' de base qui cogne sur sa femme enceinte en voulant vraiment assassiner le gosse qu'elle porte, va voir des films pornos, provoque des immigrés, râle, avec ce regard froid et implacable, sans jamais sourir, il abat sa fille froidement comme il tue ces animaux dans sa boucherie et qui se vide comme un cochon qu'on saigne, tout cela nous offre une gigantesque claque dans les dents. Ce film révèle aussi le très bon acteur qu'est Phillipe Nahon, que je trouve assez charismatique.
Si Noé est un provocateur, il est ce que je vois dans la ligné de Pier Paolo Pasolini, Larry Clark et Cronenberg un artiste démesurément bon, même si "Irréversible" et son tapage médiatique a joué en sa défaveur.